Hugues de Jubécourt
Interview réalisée par Corine Mercier

Comment êtes-vous venu à l'écriture ?

Orphelin de père à l'age de sept ans, j'ai mal vécu le remariage de ma mère trois ans plus tard et la famille recomposée. Pour lui échapper j'ai souhaité être pensionnaire, ce qui arrangea bien ma mère et mon beau-père.
C'était au milieu des années soixante, le téléphone portable n'existait pas et je ne sortais de pension qu'une fois par mois. Le courrier est alors devenu mon moyen de communication privilégié. A l'heure de sa distribution, mon cœur de pensionnaire battait au rythme de l'espoir d'avoir une ou des lettres me donnant des nouvelles me reliant au monde extérieur... A l'heure de l'écriture du courrier, généralement l'étude du soir, je racontais ma vie de pensionnaire, mes joies, mes peines, dans l'espoir que quelqu'un lirait et comprendrait...
Très vite, et bien au delà du courrier, la lecture et l'écriture, sont devenus mon jardin secret. Je l'ai systématiquement cultivé lors des études de fin d'après midi, du soir et du matin avant les classes … A ces moments de la journée, le silence était la règle du pensionnat. Ce fut pour moi une aubaine, car le silence est le creuset de la liberté extraordinaire que m'ont offert généreusement la lecture et l'écriture. Mon goût pour l'écriture, mon journal et mes premiers poèmes, sont nés dans ce creuset fécond...

Comment résumeriez-vous votre dernier ouvrage ?

Mon dernier ouvrage, qui est aussi mon premier roman publié, est un cri d'amour ! Cette histoire me tient à cœur, ou touche de près des personnes que je connais et que j'aime. Elle veut vous faire découvrir que l'on peut espérer pendant vingt cinq ans être aimé de quelqu'un sans jamais y parvenir. Que l'on peut mettre trente ans pour rencontrer le véritable amour pour, finalement, par amour, y renoncer...
Ce roman est entièrement à la deuxième personne du pluriel et d'un point de vue exclusivement féminin. Ce procédé de narration vous donnera à la fois le recul pour bien observer et la proximité pour connaître et aimer ces femmes. Ces personnages centraux garderont pour vous une part de mystère, ainsi vous ne saurez pas leur nom. Ils créeront pourtant avec vous une intimité de relation, en se donnant à observer très crûment. Vous pourrez aussi vous projeter en eux, car les situations de vie qui sont décrites vous toucheront parfois intimement.

Comment naissent vos histoires ? Quelles sont vos sources d'inspiration ?

Les semences de mes histoires proviennent de la vraie vie. Ainsi, les chocs émotionnels et les rencontres qui m'ont marqué cheminent en moi et y font naître l'envie de vous faire partager ce que j'ai vu, ressenti ou compris. Je n'aime pas me sentir étranger à une histoire dont je ne serai que le narrateur. La « peinture » des autres et de leurs bonheurs ou malheurs ferait de moi une espèce d'anthropologue dont le plaisir serait de vous rendre un peu voyeurs, sans que vous sachiez vraiment qui je suis. Pour ma part j'ai besoin d'être concerné par le roman et je ne sais pas, au moment où je le commence, jusqu'où il nous conduira.
C'est éprouvant comme manière de créer, mais cela stimule mon désir de vous aider à vous approprier tel ou tel personnage ou situations de l'histoire. Quand j'écris quelque chose de puisé ou extrait de mes rencontres et de la pâte humaine, cela sonne juste en vous et l'histoire que je vous propose devient votre, sans procuration.
La poésie m'a appris tout ce que l'on peut provoquer comme supplément d'âme par la musique des mots. Elle m'a aussi appris à accueillir ce que me disent mes sens qui provoquent des émotions qui peuvent ouvrir la porte des sentiments, source intarissable d'inspiration.

Comment bâtissez-vous vos récits ? Avez-vous une méthode de travail ?

Il y a toujours un temps où je cherche la forme à donner aux messages que j'ai envie de passer. Ainsi « Vous » aurait pu être un essai, un ensemble de nouvelles, un recueil de poésie...
J'ai opté pour le roman ! En effet, l'essai avait un côté trop laboratoire et tentative inachevée qui ne collait pas avec la dimension sentimentale omniprésente de l'histoire. Par ailleurs, l'ensemble de nouvelles, avec son côté histoires en pointillés et petites histoires, n'allait pas avec la dimension tragique d'une longue histoire d'amour inaboutie. Enfin, la poésie risquait de donner une dimension trop solennelle au comportement très ordinaire de certains personnages...
Le roman me permettait plus de souplesse, à commencer par une certaine distance avec le réel. Le résultat est là ! En termes de méthode, j'aime commencer en esquissant une sorte de squelette où je risque un premier chapitrage. L'écriture à proprement parler peut alors démarrer. Je me donne à fond aux personnages dont j'emprunte la vie. Ce qui fait qu'ils me conduisent parfois beaucoup plus loin que prévu. Alors je remets en cause le squelette... « VOUS » est né comme cela.

Avez-vous des habitudes d'écriture ? Travaillez-vous dans le silence, en musique, sur ordinateur ou sur papier ?

J'aime le silence profond et fécond de la nuit et le lever du soleil dans des lieux retirés où je sens la nature respirer... Ce sont des moments où je me sens au cœur du monde, pleinement disponible et l'esprit aiguisé. J'aime me lever vers cinq heures du matin , contempler la beauté de la nuit et le tout début du lever du jour. Je fais alors partie intégrante de la nature où je me sens tout petit et immense à la fois !
J'aime, passé minuit, regarder la lune et sa lumière si particulière. Je me dis que des milliers et des milliers de générations ont fait la même chose avant moi. Cela me rapproche d'eux et abolit le temps...
Beaucoup de mes poèmes sont nés de quelques vers inaboutis griffonnés à la hâte sur une petite page toute raturée, dans un hall de gare, un salon du livre ou une file d'attente interminable... Mais j'écris surtout avec le clavier de mon ordinateur et l'appui cliquetant de ma souris...
La musique me gène pour écrire, sauf si je veux poser un texte sur une mélodie. La musique, sans laquelle je ne saurais vivre, c'est avant et après l'écriture et surtout pas pour remplir un silence, car j'aime énormément le silence. Celui qui l'habite a le cœur plein d'amour à donner.

Que représente pour vous l'écriture, une sorte de prédisposition ? Une nécessité ?

Certaines personnes font de l'écriture une thérapie, une sorte de psychanalyse de soi pour passer un cap difficile comme la perte d'un être cher, une maladie, les séquelles d'une enfance douloureuse, etc.
D'autres s'en servent pour clarifier leur pensée, d'autres encore pour transmettre ou faire mémoire. D'autres, aussi, pour se trouver eux-mêmes. Et bien d'autres motivations encore...
Pour ma part, je vis l'écriture comme un accomplissement de soi. Car, les rencontres que j'ai faites, les trésors d'amour que j'ai trouvés, ou qui sont encore enfouis au plus profond de moi, ne sont ni à moi, ni pour moi, mais pour être offerts et transmis à ceux que nous rencontrons ou rencontrerons un jour ou l'autre. Mon accomplissement c'est de faire l'effort de les mettre en forme pour le plaisir de vous les offrir et les partager avec vous.
Ainsi, certains de mes poèmes ont-ils parfois mis plus de quinze ans pour trouver leur vrai destinataire...
« Vous » a et aura une accroche rapide et profonde avec ses lecteurs, car c'est une histoire d'amour étincelante dans la morosité du temps. La maison d'édition dont elle a retenu l'attention s'appelle « Spinelle », comme la pierre fine de couleur rouge ou noire...

Quelles sont vos autres activités en dehors de l'écriture ?

Je partage mon temps entre les salons du livre, trois associations, deux cercles de poésie issus de la Compagnie des écrivains de Tarn et Garonne, l'entretien courant d'une grande et jolie maison et la joie d'y accueillir chaque fois que cela est possible nos enfants, beaux-enfants et petits enfants ! C'est souvent un programme d'action bien chargé et il faut avoir un désir passionné d'écrire pour en garder le temps. C'est une conquête ou reconquête à réussir chaque jour !

Travaillez-vous déjà sur un autre projet ?

J'ai deux projets à court terme : un troisième recueil de poésie et un livre de comtes pour enfants. L'idée et l'envie d'un deuxième roman est en train de sortir des limbes et commence à bouillonner dans mon crâne. J'attends avec impatience de savoir ce que sera l'accueil de « VOUS» par son public , pour tracer d'autres caps.

Interview réalisée par Corine Mercier
Rédactrice